Risque de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob par la transfusion sanguine

10/02/2004

Dans le dernier numéro du Lancet publié le 7 février 2004, deux articles rapportent des éléments nouveaux sur les risques de transmission de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) et plus spécifiquement une forme variante de cette maladie (vMCJ) induite par la consommation de produits bovins contaminés par l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).

Le premier article, de l'équipe du Pr. R. Will, rapporte le suivi de 48 patients ayant reçu une transfusion sanguine à partir de dons de sang issus de donneurs (15 donneurs identifiés jusqu'à présent) qui sont décédés quelques années plus tard de vMCJ. L'article rapporte essentiellement le cas d'un des 48 receveurs qui a développé une vMCJ, six ans et demi après la transfusion (ce cas avait été annoncé publiquement dès le 17 décembre par le ministre de la santé britannique). Les auteurs concluent que ce cas suggère que l'agent responsable de la vMCJ pourrait être transmis par transfusion, mais qu'il ne peut pas être exclu que la maladie développée par ce patient soit liée à une transmission par voie alimentaire, comme pour les 146 autres cas de patients qui ont été atteints de vMCJ en Angleterre depuis 1996.

Le second article, de l'équipe de C. Lasmézas (CEA, laboratoire de neurovirologie), étudie sur un modèle primate non-humain (macaque infecté par l'agent de l'ESB) la transmissibilité de l'agent infectieux (présent dans un homogénat de cerveau d'animal infecté) par différentes voies d'administration et compare la distribution de l'agent infectieux chez les animaux ainsi contaminés. Les résultats publiés montrent d'une part que la voie intraveineuse est une voie de transmission efficace et d'autre part que l'agent responsable de la vMCJ se distribue de la même façon dans les organes étudiés (cerveau, tissu lymphoïde, intestin et nerfs périphériques) quelle que soit la voie d'inoculation de l'infection. Il faut toutefois noter que cette étude n'a pas étudié l'infectiosité dans le sang des animaux infectés. Cette étude montre essentiellement l'efficacité de la voie intraveineuse dans la transmission de l'infectiosité, et rend ainsi plus probable l'hypothèse selon laquelle le patient vMCJ britannique ait contracté la maladie par transfusion. De plus, compte tenu de la répartition de l'infectiosité retrouvée dans les tissus, quelle que soit la voie d'inoculation (intraveineuse ou orale), les mesures de précaution à respecter dans les actes médicaux et chirurgicaux (et notamment endoscopiques) doivent être identiques pour réduire le risque de transmission secondaire quelle que soit la voie de contamination des sujets traités.

A la suite de l'annonce le 17 décembre 2003 d'un premier cas "probable" de transmission inter-humaine par transfusion, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a réuni une nouvelle fois le 3 février dernier son groupe d'experts tandis qu'une réunion de l'Agence européenne du médicament (EMEA) avait été organisée les 27 et 28 janvier dernier, pour confronter les données les plus récentes sur le risque de transmission de l'agent des encéphalopathies spongiformes transmissibles (ESST). De ces deux réunions, il peut être retenu essentiellement les éléments suivants.

Infectiosité dans le sang : les données acquises sur les modèles rongeurs (rat, hamster, souris) et sur le modèle du mouton sont confirmées ; une infectiosité peut être retrouvée, à un titre faible (environ 10 à 20 unités infectieuses par ml). En revanche, aucune infectiosité n'a encore pu être détectée, quel que soit le modèle étudié et la méthode de détection, dans le sang de primates ou des sujets humains. Ces données confirment les conclusions fournies dans le rapport Afssaps de décembre 2000 que la présence d'infectiosité dans le sang humain n'a pas été démontrée, mais qu'elle ne peut être exclue, et que si elle était présente elle le serait à un titre faible, voire très faible. Ce titre faible ou très faible n'est pas incompatible avec la possible transmission par transfusion sanguine chez l'homme (compte tenu des volumes injectés en transfusion) et expliquerait aussi la difficulté de détection dans modèles animaux qui sont limités par les volumes injectés.

Epidémiologie : le nombre de cas de vMCJ rapportés à ce jour (147 cas déclarés en Angleterre, 6 en France et 1 en Italie) semble montrer une décroissance dans la vitesse d'apparition des nouveaux cas. Cependant les experts ne peuvent pas exclure qu'un second pic puisse intervenir dans les années prochaines en Angleterre (sujets exposés au risque ESB alimentaire ayant développé une période d'incubation plus longue, cas issus du second passage par contamination interhumaine post chirurgie ou post transfusion). Il ne peut pas non plus être exclu que des cas de vMCJ puissent se déclarer dans différents pays (y compris le continent Nord-américain) ayant été exposés au risque ESB alimentaire (pour des périodes et à des niveaux inconnus actuellement).

Analyse de risque pour le sang et les produits dérivés : le cas possible rapporté en décembre 2003 de transmission par transfusion renforce la plausibilité d'une transmission inter-humaine, par voie sanguine. Cette hypothèse a toujours été prise en compte en France et a justifié la mise en place progressive de mesures de réduction du risque des produits transfusionnels et des médicaments dérivés du sang (MDS) issus du fractionnement du plasma, rappelées ci-après :

  • Exclusion des donneurs de sang ayant un facteur de risque au regard de la MCJ.
  • Exclusion des donneurs de sang ayant séjourné plus de un an en Grande-Bretagne dans la période 1980-1996.
  • Déleucocytation des produits transfusionnels cellulaires (mise en place en 1998 pour les concentrés globulaires et les plaquettes).
  • Déleucocytation du plasma pour transfusion et du plasma pour fractionnement (mise en place en 2000 dans le cadre d'une phase expérimentale et officialisation de la mesure en 2003.
  • Rappels des recommandations d'utilisation des produits sanguins labiles, pour que l'acte transfusionnel soit réservé aux seuls cas indispensables et relevant d'indications validées (Recommandations publiées en 2002 et 2003).
  • Exclusion de donneurs précédemment transfusés (mise en place en 1996).
  • Pour le fractionnement des MDS, mise en place d'étapes supplémentaires de nanofiltration pour les produits utilisés de façon chronique (facteurs de la coagulation, Immunoglobulines).

A l'issue des récents travaux conduits par le groupe d'experts de l'Afssaps, il est considéré que les dernières informations publiées dans le Lancet ne remettent pas en cause l'analyse de risque et les conclusions proposées en décembre 2000. Les mesures mises en place progressivement depuis plusieurs années demeurent aujourd'hui les plus appropriées face au risque de transmission des agents ESST par le sang et ses dérivés, et n'ont pas à être modifiées actuellement.

Le rapport de la réunion du 3 février est en cours de finalisation et, après approbation par les experts sera rendu public comme les actualisations de 2002 et 2003.

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