Lors de sa réunion mensuelle qui s’est tenue du 7 au 10 avril 2014, le Comité pour l’Evaluation des Risques en matière de Pharmacovigilance (PRAC) a engagé ou poursuivi la réévaluation du rapport bénéfice/risque de plusieurs produits. De nouvelles recommandations de précaution d’emploi ont été proposées pour les traitements par le double blocage avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II et l’aliskiren. Par ailleurs, le PRAC a conclu qu’aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre la vaccination HPV et la survenue de syndrome régional douloureux complexe.
Médicaments utilisés dans le double blocage du système rénine-angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion/antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II/aliskiren) : réévaluation du rapport bénéfice/risque
Cette réévaluation initiée par l’Italie en mai 2013 fait suite à la publication d’une méta-analyse[1] sur le double blocage du système rénine-angiotensine montrant que le double blocage augmente le risque d’hyperkaliémie, d’hypotension et d’insuffisance rénale. Ces effets indésirables surviennent alors même qu’il n’y a pas d’efficacité en termes de réduction de la mortalité toutes causes confondues ou de la mortalité cardiovasculaire même si l’on retrouve une diminution du nombre d’hospitalisations pour défaillance cardiaque.
La revue européenne des données avait pour objectif d’analyser les bénéfices et les risques du double blocage (inhibiteurs de l’enzyme de conversion/antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II/aliskiren) et s’est attachée particulièrement aux populations à risque, telles que les diabétiques ou les insuffisants rénaux. L’Italie était en charge de la réévaluation avec plusieurs autres Etats membres.
Le dossier a été présenté pour la première fois au PRAC de novembre puis au PRAC de mars 2014.
Au PRAC d’avril, les discussions ont permis notamment de conclure à :
- la contre-indication de l’utilisation concomitante de l’aliskiren avec un inhibiteur de l’enzyme de conversion ou un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II en cas d’insuffisance rénale ou de diabète
- une forte recommandation de ne pas utiliser l’association d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion et un antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II chez des patients atteints de néphropathie diabétique
- une utilisation déconseillée du double blocage chez tous les autres patients.
Dans les situations exceptionnelles où le double blocage doit être réalisé, il est nécessaire qu’il soit mis en place par un spécialiste et nécessaire de renforcer la surveillance biologique (kaliémie et créatininémie) et clinique (tension artérielle). Enfin, des libellés spécifiques ont été proposés pour candésartan et valsartan dans le contexte de leur utilisation dans l’insuffisance cardiaque.
Par conséquent, l’information des ces médicaments (résumés des caractéristiques du produit et les notices) sera modifiée en conséquence.
Certains de ces produits étant autorisés selon une procédure centralisée, c’est le CHMP qui adoptera une position sur la recommandation du PRAC. Son opinion sera ensuite transmise à la Commission européenne qui rendra une décision finale.
Dans l’attente de la décision finale sur cet arbitrage, l’ANSM recommande d’ores et déjà de prendre en compte ces nouvelles recommandations de précaution d’emploi pour les traitements par le double blocage avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II et l’aliskiren. |
Réévaluation du rapport bénéfice/risque du valproate lors de son utilisation chez la femme enceinte
Le valproate est indiqué dans le traitement de l’épilepsie (Dépakine et génériques) et en deuxième intention dans les épisodes maniaques du trouble bipolaire (Dépakote et Dépamide). Il est également indiqué dans certains pays de l’UE dans la migraine. Cette dernière indication n’est pas autorisée en France.
L’effet tératogène (malformatif) du valproate est connu depuis de nombreuses années et mentionné dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de ces médicaments. Les données colligées depuis la commercialisation, notamment pharmaco-épidémiologiques, ont permis de préciser ce risque et de mettre en évidence, outre l’effet tératogène, un risque sur le développement neurologique des enfants exposés pendant la grossesse. A la suite de la publication plus récente d’études suggérant que les troubles psychomoteurs, incluant l’autisme, pouvaient survenir et persister chez ces enfants exposés pendant la grossesse, le Royaume-Uni a souhaité qu’une évaluation européenne soit effectuée sur ce sujet.
Les premières discussions ont eu lieu au PRAC d’avril. Elles confirment l’existence des risques de malformations et de troubles psychomoteurs chez les enfants exposés au cours de la grossesse. Cependant, l’évaluation se poursuit. En effet, afin d’essayer de préciser certains aspects et d’envisager au mieux les mesures de minimisation des risques à prendre, une liste complémentaire de questions va être adressée aux laboratoires concernés.
La prochaine discussion au PRAC devrait avoir lieu en juillet.
Dans l’attente de la décision finale sur cet arbitrage, l’ANSM invite les professionnels de santé et les patientes à relire les informations contenues dans le RCP et la notice des médicaments à base de valproate concernant les risques liés à l’exposition au cours de la grossesse et rappelle que ce médicament ne doit pas être utilisé pendant la grossesse et chez les femmes en âge de procréer sauf en cas de réelle nécessité (ex : en cas d'inefficacité ou d'intolérance aux alternatives médicamenteuses). Les femmes en âge de procréer doivent utiliser une contraception efficace pendant le traitement. Si une grossesse est envisagée une consultation pré-conceptionnelle est souhaitable. Toutes les mesures seront mises en œuvre pour envisager le recours à d'autres thérapeutiques en vue de cette grossesse. Si le valproate de sodium devait absolument être maintenu (absence d’alternative) : il convient d’administrer la dose journalière minimale efficace. Pendant la grossesse, si un traitement par le valproate de sodium devait absolument être maintenu (absence d’alternative), il conviendrait d’administrer la posologie minimale efficace et une surveillance prénatale spécialisée sera requise en vue de détecter d’éventuelles anomalies touchant le tube neural ou d’autres malformations. |
Réévaluation du rapport bénéfice/risque des spécialités administrées par voie orale contenant de la méthadone et de la povidone en tant qu’excipient
Le PRAC a débuté, à l’initiative de la Norvège, une réévaluation du rapport B/R des médicaments administrés par voie orale contenant de la méthadone et de la povidone en tant qu’excipient.
Les médicaments à base de méthadone sont indiqués dans le traitement substitutif des pharmacodépendances aux opiacés. Ils sont administrés par voie orale.
Des cas d’insuffisance rénale incluant des décès et survenus dans un contexte de mésusage par injection intraveineuse de Methadone Martindale (non autorisée en France) ont été rapportés en Norvège au cours des derniers mois. A la biopsie, des dépôts de povidone (excipient présent dans la méthadone Martindale) ont été retrouvés au niveau rénal chez tous les patients. La Norvège a décidé de suspendre l’AMM de ce médicament et a demandé l’initiation d’une réévaluation européenne.
Le périmètre de l’arbitrage initié a été fixé à la réévaluation du rapport B/R des médicaments administrés par voie orale contenant de la méthadone et de la povidone en tant qu’excipient. La méthadone commercialisée en France n’est pas concernée par cet arbitrage puisqu’elle ne contient pas de povidone.
Les premières discussions au PRAC devraient avoir lieu en juillet.
Réévaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments à base d’ambroxol ou de bromhexine
Les médicaments à base d’ambroxol ou de bromhexine sont indiqués dans les troubles de la sécrétion bronchique ou dans le soulagement des maux de gorge.
La Belgique a évalué que l’ambroxol présentait un risque de réactions d’hypersensibilité immédiates, potentiellement graves, puisque incluant des réactions anaphylactiques, et de réactions cutanés graves.
Par ailleurs, après évaluation du rapport B/R de l’ambroxol dans la population pédiatrique dans les troubles de la sécrétion bronchique, la Belgique a conclu à un rapport B/R négatif dans cette population en raison d’une insuffisance de démonstration de l’efficacité alors que le risque est jugé de même niveau que chez l’adulte. En France, les spécialités à base d’ambroxol destinées au traitement des troubles de la sécrétion bronchique sont réservées à l’adulte. Les spécialités utilisées pour soulager les maux de gorge sont autorisées chez l’enfant à partir de 12 ans.
Dans ce contexte, la Belgique a souhaité initier une réévaluation du rapport B/R de l’ambroxol dans toutes ces indications actuelles. Par ailleurs, l’ambroxol étant un métabolite de la bromhexine, celle-ci est également incluse dans le périmètre de l’arbitrage.
Une liste de questions à destination des laboratoires concernés a été adoptée.
Les premières discussions au PRAC sont prévues pour septembre.
Réévaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments à base de codéine utilisés chez l’enfant dans la toux ou le rhume
A la suite de l’arbitrage européen concernant l’utilisation de la codéine chez l’enfant dans les indications antalgiques et les inquiétudes relatives aux métaboliseurs rapides, l’Allemagne a initié un arbitrage européen selon un article 31 afin que l’évaluation soit poursuivie pour les indications de la codéine dans la toux et le rhume.
La codéine est un médicament utilisé très largement chez les adultes et les enfants. En France les médicaments à base de codéine sont utilisés dans le traitement de la toux et sont contre-indiqués chez les enfants de moins de 30 mois.
La codéine est transformée en morphine dans l’organisme par une enzyme, appelée CYP2D6. Certains patients ont un profil de « métaboliseurs rapides CYP2D6 », qui se traduit par une transformation plus rapide que la normale de la codéine en morphine. Chez ces patients, les taux sanguins en morphine sont plus élevés ce qui fait courir un risque toxique et en particulier d’insuffisance respiratoire.
Une liste de questions destinée aux laboratoires concernés a été adoptée.
Les premières discussions au PRAC sont prévues pour novembre.
Dans l’attente des résultats de cette réévaluation, il importe d’être vigilant dès le début d’un traitement par la codéine des signes potentiels de toxicité chez les enfants.En cas d’apparition, il convient d’arrêter le traitement et de consulter un médecin. |
Réévaluation du rapport bénéfice/risque des médicaments à base de testostérone
La testostérone est indiquée principalement dans le traitement des hommes présentant un hypogonadisme (traitement substitutif). Elle est disponible sous plusieurs formes pharmaceutiques (capsules, implants, patchs, gels, solution cutanée).
Il est déjà connu que ces médicaments doivent être utilisés avec précaution chez les patients présentant notamment des troubles cardiovasculaires, une insuffisance hépatique ou rénale, une épilepsie, des migraines, un diabète ou toute autre condition pouvant être aggravée par une rétension hydrique ou un œdème.
Cependant, en raison des résultats de plusieurs études publiées récentes suggérant un risque augmenté d’effets cardiovasculaires, notamment infarctus du myocarde ou chez des patients ayant des pathologies cardiaques pré-existantes, l’Estonie a souhaité initier une réévaluation européenne du B/R de la testostérone dans ces indications actuelles.
Une liste de questions aux laboratoires concernés a été adoptée.
Les premières discussions au PRAC sont prévues pour juillet.
Dans l’attente de la décision finale sur cet arbitrage, l’ANSM rappelle que chez les patients souffrant d'une insuffisance cardiaque, hépatique ou rénale sévère, un traitement par testostérone pourrait entraîner une complication sévère caractérisée par un œdème, accompagné ou non d'insuffisance cardiaque congestive. Dans ce cas, le traitement doit être arrêté immédiatement. Par ailleurs, la testostérone peut entraîner une élévation de la pression artérielle et doit être utilisée avec prudence chez les patients souffrant d'hypertension. |
Vaccins anti-HPV (Gardasil, Cervarix)
Les vaccins Gardasil et Cervarix sont indiqués dans la prévention du cancer du col de l’utérus dû à certaines infections à papillomavirus humains (HPV). Selon les recommandations vaccinales françaises de 2013, ils sont recommandés chez les jeunes filles âgées de 11 à 14 ans. Par ailleurs, le rattrapage vaccinal est désormais recommandé jusqu’à l’âge de 19 ans révolus, la vaccination étant d’autant plus efficace que les jeunes filles n’ont pas encore été exposées au risque d’infection par le HPV.
A la suite de la déclaration de cas de douleur persistante après injection dont des cas de syndrome régional douloureux complexe (SRDC) après vaccination, les autorités japonaises ont informé en juin 2013 de leur décision de suspendre temporairement leur recommandation de vaccination, sans suspendre la commercialisation de ces produits qui restent disponibles pour les jeunes filles qui souhaitent être vaccinées. La mesure a été prise à titre de précaution en attendant les résultats des investigations complémentaires que les autorités japonaises ont entreprises et alors que plus de 8 millions de doses ont été distribuées au Japon mais que ces vaccins ne sont inclus dans le calendrier vaccinal japonais que depuis récemment.
Après réception des compléments d’informations et analyse des données disponibles à ce jour par les rapporteurs de ces dossiers (Suède et Belgique), et en l’absence de définition claire et validée de ce syndrome, le PRAC a confirmé que la documentation des cas ne permet pas, le plus souvent, d’affirmer le diagnostic ni d’établir une relation de causalité entre le syndrome douloureux et la vaccination.
Par ailleurs, il est rappelé que le mécanisme physiopathologique de ce syndrome demeure à ce jour très mal connu. Plusieurs étiologies sont évoquées dans la littérature, notamment liées au mode d’administration impliquant l’utilisation d’une aiguille, mais aussi possiblement liées à un mécanisme inflammatoire ou faisant intervenir des facteurs psychologiques.
Par conséquent, le PRAC a conclu qu’aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre la vaccination HPV et la survenue de syndrome régional douloureux complexe. En revanche, cet événement continuera de faire l’objet d’une surveillance attentive dans les prochains PSURs.
Dans ce contexte, l’ANSM considère, que ce signal ne remet pas en cause le rapport bénéfice/risque favorable des vaccins anti-HPV. Les vaccinations par Gardasil et Cervarix peuvent être poursuivies conformément au calendrier vaccinal défini par le Haut Conseil de la Santé Publique.
Lire aussi
[1] Makani H, BangaloreD, Desouza KA, Shah A, Messeril FH. Efficacy and safety of dual blockade of therenin-angiotensin system : meta-analysis of randomized trials. BMJ. 2013 Janv 28;346:f360. dol:10.1136/bmj.f360.