Antirétroviraux et grossesse - données de pharmacovigilance

24/06/1999

Cher(e) Collègue,

Plusieurs cas d'atteintes mitochondriales ont été observés en France chez des enfants nés de mères séropositives pour le VIH ayant reçu au cours de la grossesse un traitement préventif de la transmission materno-fœtale du virus par inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse : AZT (zidovudine, RETROVIR®) seul ou associé au 3TC (lamivudine, EPIVIR®). Les enfants concernés n'étaient pas infectés par le VIH.

Ce sont initialement deux cas d'atteinte neurologique sévère ayant entraîné le décès, chez des enfants exposés pendant la grossesse à l'association AZT-3TC, qui ont été rapportés. Un dysfonctionnement mitochondrial a été mis en évidence dans ces deux observations, et l'hypothèse d'une relation avec les traitements antirétroviraux (inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse) auxquels ces enfants avaient été exposés pendant la grossesse et les premières semaines de vie a été soulevée.

Afin d'étudier l'association possible entre dysfonctionnement mitochondrial et prise d'inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse au cours de la grossesse, une enquête rétrospective est menée chez les enfants suivis dans le cadre d'un essai clinique (essai ANRS 075) et d'une cohorte épidémiologique (l'Enquête périnatale française). L'essai ANRS 075 a été mis en place par l'ANRS en 1997 pour étudier en France la tolérance et l'efficacité de l'association AZT-3TC, dans la prévention de la transmission materno-fœtale du VIH ; 445 couples mère-enfant ont participé à cette étude. L'Enquête périnatale française est un suivi épidémiologique des enfants nés de mère séropositive qui regroupe depuis 1986 plus de 5 000 couples mère-enfant, parmi lesquels 1 700 ont reçu un traitement préventif de la transmission materno-fœtale.

Actuellement, aucun autre décès n'a été rapporté. Six cas supplémentaires d'anomalies des mitochondries ont été identifiés : deux enfants ont une atteinte neurologique sévère, un enfant a eu une cardiomyopathie sévère régressive, et les trois autres ont actuellement peu de symptômes, mais des anomalies biologiques (élévation de l'acide lactique) persistantes. Quatre de ces enfants avaient été exposés à deux médicaments (AZT et 3TC), les quatre autres uniquement à l'AZT. Aucun de ces enfants n'a été infecté par le VIH. La recherche de cas supplémentaires éventuels se poursuit.

Des enquêtes complémentaires ont débuté ou se poursuivent, en France et dans d'autres pays. Une lettre a été adressée le 3 mai aux praticiens susceptibles de suivre des enfants nés de mère séropositive pour les informer des cas observés et insister sur l'importance d'identifier et de notifier toute suspicion de pathologie mitochondriale chez ces enfants, qu'ils aient ou non été exposés à un traitement médicamenteux au cours de la grossesse.

Une rencontre internationale s'est tenue le 31 mai 1999 à Paris, à l'initiative des autorités françaises afin de permettre à différents experts américains et européens de confronter les données collectées dans les différents pays et d'analyser les observations françaises .

L'avis des experts confirme que les huit cas observés correspondent à des atteintes des mitochondries. La relation entre la survenue d'anomalies et les traitements par inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse est possible, même si elle n'est pas démontrée à ce jour. Des données épidémiologiques complémentaires, ainsi que des résultats expérimentaux sont nécessaires pour aller plus loin dans les conclusions.

Dans l'attente du prochain Rapport du groupe d'experts sur l'utilisation des antirétroviraux dans l'infection par le VIH , établi sous la direction du Pr Jean-François Delfraissy, ces observations conduisent aux recommandations suivantes concernant la prévention de la transmission materno-fœtale :

En l'état actuel des données, le bénéfice de l'AZT dans la prévention de la transmission mère-enfant du VIH n'est pas remis en cause. Il faut rappeler qu'un essai clinique a démontré en 1994 que le traitement par AZT donné à partir du deuxième trimestre de la grossesse permettait de réduire des deux tiers le risque de transmission du virus de la mère à l'enfant.

Le traitement par AZT reste recommandé pour la prévention de la transmission mère-enfant du VIH, éventuellement associée à une césarienne programmée qui contribue également à la diminution du risque. Toutefois, des études récentes ayant montré qu'une prescription plus tardive de l'AZT ne compromet pas son efficacité, il est recommandé de ne débuter le traitement qu'au troisième trimestre . Chez les femmes enceintes dont la situation immunobiologique ne justifie pas un traitement en soi, un traitement préventif par deux médicaments n'est pas recommandé sauf situation particulière. Chez les femmes enceintes déjà traitées avant la grossesse ou dont l'état clinique justifie une multithérapie, celle-ci doit être mise en œuvre ou poursuivie quel que soit le terme de la grossesse, en évitant l'association de trois inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse.

L'information des femmes concernées est essentielle : toute femme séropositive pour le VIH doit être informée du possible risque pour l'enfant des médicaments antirétroviraux administrés pendant la grossesse :

  • Les femmes qui ont eu un enfant exposé au cours de la grossesse et/ou après la naissance, à un traitement antirétroviral doivent être informées de la nécessité de faire suivre leur enfant et de faire pratiquer si nécessaire des examens permettant de dépister une anomalie mitochondriale ;
  • Les femmes séropositives enceintes doivent connaître l'existence de ce risque éventuel, que le traitement antirétroviral ait débuté ou non ;
  • Enfin, toute femme séropositive susceptible d'avoir un projet de grossesse doit bénéficier de cette information.

Il vous est donc demandé de communiquer ces éléments d'information à toutes les femmes séropositives que vous pourrez voir en consultation.

Vous pouvez disposer d'informations complémentaires et notamment obtenir les coordonnées des équipes de votre région participant à l'Enquête périnatale française, ainsi que celles de votre Centre régional de pharmacovigilance, en appelant la ligne VIH info-soignants, tous les jours de 9 heures à 23 heures au 0 801 630 515 (numéro azur).

Nous vous remercions de votre collaboration et ne manquerons de vous tenir informé de l'évolution des connaissances sur cette question.