Mitoxantrone et sclérose en plaques

23/12/2001

Madame, Monsieur,

Je souhaite attirer votre attention sur l’utilisation de la mitoxantrone dans le traitement de la sclérose en plaques (SEP).

Comme vous le savez, la mitoxantrone (Novantrone®) est sur le marché depuis 1985 en cancérologie et hématologie. Le traitement de la SEP ne figure pas dans les indications de cette spécialité.

Les données d’efficacité sont encore préliminaires :

  • une étude de phase II randomisée ouverte versus méthylprednisolone (J Neurol Neurosurg Psychiatry 1997, 62 :112-118) a inclus 42 patients (21 par groupe) atteints de SEP très active : SEP rémittente ou SEP secondairement progressive active, avec 2 poussées avec séquelles dans l’année précédente, ou aggravation de 2 points à l’EDSS dans l’année précédente. Ils présentaient au moins une lésion prenant le contraste à l’IRM. Cette étude portant sur de petits effectifs a montré dans le bras mitoxantrone (à la posologie de 20 mg/cycle, une fois par mois pendant 6 mois) associée à la méthylprednisolone (1g/IV), une efficacité radiologique (critère principal d’évaluation : nombre de patients avec nouvelle lésion prenant le contraste à l’IRM) et clinique (nombre de poussées) comparativement à la méthylprednisolone seule.
  • les résultats d’une étude de phase III, non encore publiée, étudiant une population plus hétérogène de 194 patients, moins sévères, avec 2 schémas posologiques différents de ceux de l’étude précédente sont moins concluants. Ils ne permettent pas de confirmer les résultats de l’étude de phase II dans la population très active concernée

A ce stade , il apparaît souhaitable de confirmer ces premières données par la mise en œuvre de nouveaux essais, avant d’envisager l’utilisation de la mitoxantrone dans la SEP.

Par ailleurs, il me paraît important de rappeler que le profil de sécurité de la mitoxantrone associe une cardiotoxicité, une hématotoxicité et la survenue de leucémies chimio-induites :

  • la toxicité cardiaque des anthracyclines et anthracènediones est dose-dépendante et cumulative. Des troubles du rythme auriculaire ou ventriculaire peuvent apparaître dès les premières heures de traitement. La toxicité subaiguë correspond à une myocardite ou une péricardite toxique. La toxicité chronique survenant pendant ou quelques semaines ou années après arrêt du traitement est liée à une atteinte des cellules myocardiques, se traduisant par un tableau d’insuffisance cardiaque brutale. Cette dernière forme peut être de mauvais pronostic. Cependant elle est accessible à un traitement médicamenteux justifiant une surveillance au long cours. Une mesure de la fraction d’éjection ventriculaire par échocardiographie ou scintigraphie isotopique doit donc être réalisée avant mise sous mitoxantrone, à la fin du traitement, puis tous les ans
  • la toxicité hématologique classique atteint la lignée blanche et les plaquettes. Elle est majorée en fréquence et en sévérité en cas d’atteinte hépatique pré-existante. Elle justifie une surveillance de la numération formule sanguine et des plaquettes avant chaque cure et à J10, afin d’adapter la posologie de la cure suivante en cas de neutropénie de grade 4 (PNN < 500 mm3) ou de neutropénie fébrile
  • des leucémies myéloïdes aiguës ont été rapportées après utilisation de mitoxantrone dans le traitement du cancer du sein. L’étude de Chaplain et al a estimé un taux cumulé à 4 ans de leucémies aiguës secondaires à la mitoxantrone de 2.22% (Journal of Clinical Oncology, vol 18 , No 15, August, 2000 : pp 2836-2842). Ces leucémies apparaissent brutalement, sans phase de myélodysplasie initiale, après une période de latence de courte durée (1 à 3 ans). A ce jour, deux cas de leucémies ont été imputés à la mitoxantrone utilisée dans le traitement de la sclérose en plaques. Compte tenu de la gravité du risque, ainsi que de la méconnaissance de sa fréquence dans la population traitée pour sclérose en plaques, un suivi trimestriel clinique et hématologique (NFS, plaquettes) doit être réalisé chez tous les patients pendant au moins 5 ans après l’arrêt du traitement .

Au total, les données sont encore peu nombreuses en terme d’efficacité pour un produit qui présente par ailleurs des risques potentiellement graves. C’est pourquoi, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (Afssaps) émet les recommandations suivantes :

  • La mitoxantrone, dans le traitement de la SEP, ne devrait être utilisée que dans le cadre d’essais cliniques, et pour les formes très actives de SEP reconnues sur des critères cliniques et IRM.
  • Une surveillance au long cours, notamment hématologique et cardiologique, doit être mise en place, pour tous les patients déjà traités par mitoxantrone.

Je vous rappelle que tout effet indésirable doit être déclaré aux Centres Régionaux de Pharmacovigilance (CRPV) dont les listes figurent sur le site Internet www.afssaps.sante.fr .

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

Philippe DUNETON