DHEA : synthèse des données disponibles et recommandations

10/08/2001

Madame, Monsieur,

Depuis quelques mois, la DHEA (déhydroépiandrostérone ou prastérone) a fait l'objet de très nombreuses communications dans la presse française pour des propriétés alléguées dans la lutte contre les effets du vieillissement, alors que sa sécurité d'emploi n'a pas été définie.

Aussi, à la demande de M. Bernard Kouchner, Ministre délégué à la santé, l'Afssaps a conduit, en collaboration avec de nombreux experts, une évaluation des données actuellement disponibles sur les bénéfices et les risques éventuellement liés à l’utilisation de la DHEA.

Les conclusions des experts ont été consignées dans un rapport (03/07/2001) application/pdf (53 ko) établi par l’Afssaps . Il m’a donc semblé important de vous faire part de ces dernières informations pour tenter de répondre à vos interrogations et aux questions posées par vos patients ou clients.

Le groupe d’experts a conclu que :

  • La DHEA n'a pas d'effet pharmacologique direct démontré. Elle a, en tant que précurseur hormonal, un effet pharmacologique lié à sa transformation dans l'organisme en hormones sexuelles (testostérone et, à un moindre degré, œstrogènes).
  • La DHEA existe dans le plasma sous deux formes : la forme libre DHEA et la forme sulfoconjuguée DHEA-S, qui sont en interconversion métabolique permanente. Leur concentration plasmatique varie considérablement au cours de la vie d’un même sujet et même au cours d'une journée. Cette variation est également constatée d’un individu à l’autre sur une même tranche d’âge (d’un facteur de 1 à 20). Compte tenu de cette très grande variabilité, la diminution des concentrations de DHEA circulante avec l'âge n’est pas constament observée. Ainsi, une enquête1 , ayant étudié l'évolution des concentrations sanguines de DHEA à 8 ans d'intervalle chez 290 patients, a montré une augmentation des taux chez plus d'un tiers des patients. Tout dosage plasmatique pour évaluer une possible carence en DHEA est donc inutile.
  • Aucune preuve de l’effet de la DHEA sur les symptômes liés au vieillissement n'a été apportée à ce jour. Ceci est vrai pour l'évaluation globale du "bien-être" mais aussi pour les autres paramètres étudiés (fonctions cognitives, effets cutanés et osseux). Les résultats disponibles ne peuvent qu'indiquer des pistes pour de futures recherches mais ne constituent, en aucun cas, la démonstration d'un effet bénéfique de cette molécule.
    Toutefois, la DHEA a montré un intérêt potentiel dans le cas très particulier des insuffisances surrénaliennes et fait l’objet d’un programme de développement clinique avancé dans le traitement du lupus.
  • Au plan de la sécurité, si aucun effet indésirable majeur n'a été observé pour des doses quotidiennes inférieures ou égales à 50mg, deux éléments peuvent cependant être préoccupants, notamment dans le cadre d'une prise prolongée
  • L’utilisation de la DHEA s'est accompagnée, dans plusieurs études et même à faible doses, d'une diminution du cholestérol HDL ("bon" cholestérol) ; la DHEA est donc susceptible d'augmenter le risque de maladie cardio-vasculaire.
  • Par ailleurs, du fait de sa transformation en hormone sexuelle, la DHEA peut favoriser ou aggraver les cancers hormonodépendants (prostate, sein, utérus).

Ces risques potentiels sont susceptibles d’être plus importants en cas d’augmentation des doses et de la durée du traitement, mais aussi compte tenu des facteurs de risque chez les sujets traités par la DHEA.

Ainsi, au vu de l'analyse du groupe d'experts, l'Afssaps considère que l'utilisation de la DHEA doit être assujettie à la réglementation du médicament. Pour pouvoir être présentée sous forme d’une spécialité pharmaceutique, elle devra bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Afssaps. Actuellement, en l'absence de spécialité pharmaceutique ayant cette autorisation, la DHEA ne peut être directement accessible que la sous forme de préparation magistrale prescrite par un médecin, préparée extemporanément et délivrée par un pharmacien.

Il est important de souligner que, comme tout autre médicament, la DHEA doit répondre à des critères de qualité. Le mode de production de la DHEA pouvant générer des impuretés, dont certaines ont un potentiel toxique avéré, les fournisseurs/fabricants de la matière première et les pharmaciens, qui assurent les préparations magistrales, ont aujourd'hui l'entière responsabilité de la qualité de la DHEA délivrée. L'Afssaps établit actuellement un référentiel et des méthodes analytiques adaptées pour vérifier, auprès de chaque fournisseur identifié, la qualité de la DHEA.

Ainsi, l'Afssaps considère qu’en l’état actuel des connaissances, la prescription de DHEA est déconseillée dans le cadre de la lutte contre les effets du vieillissement, quel que soit l’âge et le sexe. Dans ce contexte, il est important notamment de rappeler qu'un dosage de la concentration plasmatique de DHEA et la constatation d’une valeur "basse " ne sont pas des arguments suffisants pour prescrire un traitement par DHEA, au moins dans la lutte contre le vieillissement. De même, suivre la "DHEAhémie" au cours d'un traitement n’est pas justifiée. Chez la femme ménopausée, la DHEA ne doit pas être associée à un traitement hormonal substitutif oestro-progestatif ; l'association des deux traitements conduirait à un surdosage en œstrogène. Le traitement hormonal substitutif oestro-progestatif ne doit pas être abandonné au profit d'un traitement par la DHEA. Chez l’homme âgé, le maintien d'une sécrétion testiculaire de testostérone ne justifie pas un traitement par la DHEA.

Il appartient donc aux prescripteurs d’informer le patient des risques inhérents à l'emploi de la DHEA, et de l'absence de bénéfice établi de ce traitement dans la lutte contre le vieillissement.

L'utilisation éventuelle de ce précurseur hormonal n'est donc pas justifiée en dehors des essais thérapeutiques ou de situations cliniques très particulières à juger au cas par cas. En cas de mise sous traitement, il est impératif de rechercher les facteurs de risque et de maintenir une surveillance pendant toute la durée du traitement. En cas de survenue d’effets indésirables, le prescripteur, tout comme le pharmacien, a l’obligation de faire une déclaration auprès de son Centre Régional de Pharmacovigilance.

L’Afssaps poursuit l’étude et l'évaluation de l’efficacité et de la sécurité d'emploi de la DHEA et reste attentive à toutes nouvelles données scientifiques. Je ne manquerai pas de vous tenir informé si de nouvelles informations venaient à modifier l'évaluation du rapport bénéfice/risque tel qu'il a pu être établi aujourd'hui par les experts.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations les meilleures.

1 Référence PNAS étude DHEAge

Philippe DUNETON